Pourquoi un second tour est inéluctable
Dimanche prochain, 6 683 043 de sénégalais sont appelés à voter à la onzième élection présidentielle du Sénégal depuis l’indépendance. Parmi eux, certains ont déjà voté lors des législatives de 2017, une partie s’était abstenue de voter, d’autres ne se sont jamais prononcés dans un scrutin. Sans aucun doute, cette échéance a la particularité de se distinguer des autres.
Données historiques
Les chiffres des élections passées sont éloquents. Beaucoup d’enseignements majeurs s’en dégagent. Si en 2012, le nombre d’inscrits se situait environ à 5 300 000 (présidentielle et législative), ce chiffre est passé à 6 219 446 lors des élections législatives de 2017 avant d’atteindre 6 683 043 pour l’échéance de 2019, soit une augmentation absolue de 850 663 électeurs entre 2012 et 2019. Aussi, il est observé une tendance non régulière du taux de participation à une élection présidentielle avec 62,2% en 2000, 70,6% en 2017 et 51,6% en 2012. Ce niveau de participation particulièrement bas en 2012 s’explique par le climat de tension et la dynamique de boycott qui régnaient avant et pendant les élections.
Tendances lourdes
Pour rappel, le président sortant a eu 26,6% (soit 719 367 suffrages exprimés) lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2012 ; sa coalition BBY a eu 65,8% au second tour quoique les électeurs aient voté, en grande partie, plutôt contre Wade. De ce point de vue, on peut présumé que le « vrai » score de BBY débute en 2012 lors des législatives (1 040 899 voix) avec une participation au plus bas niveau (36,7%). En réalité, les deux élections de 2012 sont atypiques et ne sauraient être considérées comme une situation de référence pour BBY. Toutefois, l’élection législative de 2017, malgré toutes les insuffisances notées dans le processus, constitue un repère alternatif crédible du fait principalement de sa proximité temporelle avec celle de 2019. L’analyse des résultats de 2017 indique un pourcentage de 49,1% pour BBY, soit 1 637 761 votes avec un taux de participation de 53,7%. On peut penser que ce chiffre correspond à son stock électoral incompressible. Il faut retenir que le taux de participation apparaît comme une variable d’ajustement pour l’élection de 2019. Il peut faire basculer l’élection à lui seul. Si on se fie aux taux de participation lors des dernières élections présidentielles, on peut valablement exprimer deux scénarii : une participation pessimiste (60%) et une participation optimiste (70%). Le premier scénario montre un estimatif brut de 4 009 826 votants pour BBY (soit 40,8%) et le second environ 4 678 130 (soit 35,7%) ; compte non tenu des primo votants qui votent en général pour l’opposition, des apports de Aissata Sall (24 342 votes en 2017) et autres « petits soutiens » de circonstance en faveur de Macky Sall bien que le transfert des électeurs dans une élection ne soit pas mécanique et des mouvements de mobilité électorale entre les coalitions. L’hypothèse additionnelle suivant laquelle BBY élargira son socle électoral est certes recevable, mais cet apport ne peut qu’être résiduel. Il sera ainsi quasi impossible pour BBY de franchir le cap des 50%, toutes choses égales par ailleurs.
Paramètres nouveaux
L’élection de 2019 se démarque des autres du fait de la nouvelle configuration politique occasionnée par le parrainage et d’autres facteurs plutôt exogènes. D’abord, les cinq coalitions sont fortes avec une capacité de mobilisation exceptionnelle et un électorat assez typé. Il n’est pas surprenant de remarquer que la coalition Idy captera un éventail très large d’électeurs en pays mouride et dans d’autres contrées représentatives (Thiès, Dakar, etc.). La coalition Sonko a séduit les jeunes, les classes instruites et les zones urbaines ; elle semble être en ballotage favorable en basse Casamance. La coalition de Madické grignotera sans doute dans l’électorat du PDS et mouride. La coalition PUR, au-delà de son stock de base (155 407 électeurs en 2017), va puiser massivement dans l’électorat tidiane. La coalition BBY confirmera certainement ses bons résultats dans les zones rurales, le centre et le nord du Sénégal. Aussi, les sénégalais ont envahi massivement les réseaux sociaux ces dernières années. L’espace numérique est devenu un outil d’éveil de la conscience, terroir de potentiels électeurs ; le constat qui se dégage montre un net avantage de l’opposition (toutes coalitions confondues) par rapport à BBY.
In fine, on peut valablement dire que ces données historiques sur les élections, combinées aux données contextuelles, semblent militer en faveur d’un second tour. L’honnêteté m’oblige à avouer qu’il y a un risque de se tromper, mais il reste toutefois limité.