Contribution : Impacts sociaux du Covid-19 : un « Vivre ensemble » menacé Par Dr Ousmane NDIAYE (Darou)

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Contribution: Impacts sociaux du Covid-19 : un « Vivre ensemble » menacé
Par Dr Ousmane NDIAYE (Darou)

Le « Vivre ensemble », valeur intrinsèque, symbole de la société sénégalaise, est menacé par la crise pandémique Covid19. Cette crise inédite a permis, de déceler des dysfonctionnements, mais surtout, d’apprécier le bien inestimable, qu’est la santé et la nécessité d’avoir accès à un système de santé solide, pouvant répondre aux besoins sanitaires et sociaux de la population.
Elle a aussi testé la force de résistance de plusieurs systèmes de santé et de la chaîne de solidarité dans le monde.
Les systèmes les plus solides sont dans le décompte du nombre de morts et les plus fragiles, malgré la faiblesse de la mortalité, sont effrayés et restent en alerte rouge, à cause du nombre de cas qui ne cesse d’augmenter.
L’intervention sociologique, dans les stratégies de défense, devrait, révéler le sens caché du social et des comportements sociaux face à cette impitoyable pandémie.
Pour réduire la transmission en l’absence de solution thérapeutique, le Sénégal a mis en place progressivement des mesures de résistance en fonction de l’évolution de la pandémie. Différentes stratégies de lutte ont été adaptées : fermeture des aéroports, distanciation physique et sociale, lavage des mains, fermeture des établissements scolaires et universitaires, restriction des déplacements avec l’interdiction de voyager à l’intérieur du pays, assignation des personnes testées positives, couvre-feu, état d’urgence et port de masque. Le gouvernement n’a pas écarté l’idée d’instaurer le confinement général, si toutefois, le pire arriverait.
Dans ce contexte particulier, la démocratie a été bousculée par le vote d’une loi d’habilitation, la restriction des libertés individuelles et des procédures innovantes qui sont en cours, pour tracer les contacts des gens porteurs du virus.
Ces mesures restrictives ne constituent-elles pas une forme d’exercice et d’affirmation du pouvoir politique et policier ? Pourtant, la majorité des citoyens semblent avoir apprécié cette situation exceptionnelle justifiée par l’urgence sanitaire. Cependant, il est sociologiquement légitime de s’interroger sur les effets de ces mesures sur la santé sociale et économique des populations précaires.
Les différentes réponses politico-sanitaires décrétées pour freiner le Covid19 ont des impacts et répercussions sur la vie sociale et économique des citoyens.
La sociologie et l’anthropologie nous enseignent qu’une épidémie ne peut jamais être réduite à sa dimension biologique. Toute action de défense peut avoir des conséquences sociales, économiques ou politiques. Par exemple, le confinement, la distanciation physique ou sociale et l’isolement briseraient les liens sociaux en éloignant les personnes les unes des autres.
De même, le masque protège et représente une barrière au virus. Mais, le respect de son port, dans le temps, pourrait être problématique, parce qu’il représenterait en même temps, une barrière à la sociabilité.
La gestion d’une crise ne peut alors être que sanitaire, elle doit s’organiser autour d’une démarche globale, en tenant en compte des éventuels impacts sur la vie des individus dans la société.
Avons-nous tous les mêmes armes pour combattre le virus ?
Nous ne sommes pas tous égaux face à la pandémie. Si elle touche l’ensemble de la population sénégalaise, les habitants des quartiers populaires et ceux du monde rural seront, sans aucun doute, les plus fortement frappés par les impacts des mesures édictées. Ces impacts mettent tout particulièrement en visibilité des inégalités entre les catégories sociales et/ou entre les territoires (quartiers, communes ou régions).
Au Sénégal, avouons-le, toutes les familles ne sont pas outillées de la même manière pour affronter cette crise. Les catégories sociales vulnérables sont les plus exposées et les moins protégées. Leurs conditions de logement (insalubrité et surpeuplement) et les modes de vie, de « gorgorlou », c’est-à-dire, d’adepte de la débrouillardise, (cérémonies, rassemblements permanents) augmentent considérablement le risque de propagation du virus.
Ces modes de vie inquiètent aujourd’hui le corps médical avec la propagation des cas, issus de la transmission communautaire non maitrisables.
La promiscuité dans les milieux populaires et certains comportements inciviques, affaiblissent toutes stratégies de défense. Les mesures barrières produisent également d’autres formes d’inégalités notamment à l’école et dans le secteur informel qui nourrit quotidiennement des millions de sénégalais.
Les élèves issus de ces familles précaires subissent les impacts de ces mesures. Les initiatives de « continuité pédagogique », de palliatif au quantum horaire, mises en place ont plutôt tendance à renforcer les inégalités et mettraient en difficulté les enfants socialement défavorisés n’ayant pas accès aux outils numériques, à l’internet et ne pouvant pas payer un cours particulier. Ces facteurs d’inégalités entre élèves conduiraient à des risques importants d’échec et de rupture scolaire.
L’interdiction des déplacements et des voyages constituent aussi une inquiétude qui pèse sur les ménages des « Bana-Bana », des débrouillards sénégalais et généralement l’ensemble des travailleurs du secteur informel (transports urbains, petits commerces).
Cette situation de crise pourrait aboutir à des formes d’exclusion sociale chez les catégories sociales les plus fragiles.
En effet, cette pandémie est un exemple type d’observation des logiques d’inclusion et d’exclusion. Sociologues et économistes se sont intéressés très tôt, aux conséquences sociales de cette crise qui impactent partout les conditions de vie des populations. Elle a entrainé un risque de dissociation sociale qui ne s’est pas produit partout de la même manière. Le risque est de remettre en cause la justice sociale, l’humanisme et de bousculer la reconnaissance sociale des populations fragiles. Ces dernières ont souvent le sentiment d’être ignorées, victimes de préjugés et de stigmatisation, accusées de ne pas respecter le confinement et de propager le virus, accusées aussi de manque d’hygiène et, de non-respect des mesures sanitaires.

Ce sont des perceptions sociales agressives qui sont loin de favoriser « le vivre ensemble », et font surtout obstacle, à la solidarité et à l’entre-aide initiées par le gouvernement dans une logique inclusive.
Cette question de l’inclusion occupe aujourd’hui, une place importante dans le débat public et, dans les politiques sociales de lutte contre le Covid-19. Elle interroge les notions de responsabilité, de participation et de justice sociale.
La démarche inclusive favorise la participation à la vie communautaire, donne les moyens aux citoyens de contribuer socialement en diminuant les barrières d’exclusion. En réponse aux effets collatéraux de la crise sur les populations exclues ou susceptibles d’être exclues, de nombreuses initiatives ont été portées, supportées par l’État et les collectivités locales.
A ce titre, le gouvernement a lancé, avec le concours de nombreux donateurs, une initiative de distribution de denrées alimentaires pour soutenir les ménages précaires.
Cet acte de solidarité ponctuel est, certes, important et symbolique mais ne permettrait pas de répondre aux besoins en nourriture des familles confinées pour une période de crise sanitaire indéterminée.
Sans aide ni accompagnement des citoyens en difficulté, pendant cette période de crise, des risques de stress, de santé mentale, de violence ne sont-ils pas déjà perceptibles ?
La solidarité et l’entre-aide font partie intégrante de notre identité socioculturelle. Cependant, force est de constater qu’elle repose, principalement sur les réseaux familiaux, amicaux et de voisinage. Elle constitue le pilier principal des mécanismes de réponse aux besoins primaires. Chaque membre de ces réseaux d’aide participe en fonction de sa capacité de contribution en argent ou en nature. Aujourd’hui, cette solidarité est en danger. L’onde de choc est planétaire.
En danger, disais-je tantôt, car cette solidarité risque d’être affaiblie par les charges de la vie quotidienne et l’incertitude qui plane sur la reprise de la vie économique qui dépend de l’avenir d’une crise sanitaire non encore maîtrisable.
Il est indispensable de tirer les conclusions de cette épreuve et d’envisager un changement de paradigme, des stratégies de prise en charge sociale et sanitaire.
La crise, à mon humble avis, a révélé des failles sur la gestion sanitaire et des ressources non exploitées pour renforcer le système social de santé et de solidarité.
En effet, les collectivités locales et les acteurs communautaires particulièrement, certaines associations de quartier, ont joué un rôle primordial dans la gestion de cette crise sanitaire.
Ils devront bénéficier, à travers ces actions significatives, d’une reconnaissance en ayant une place stratégique dans les politiques d’action sociale et les politiques de prévention et de promotion de la santé.

Ousmane NDIAYE (Darou)
Docteur en Sociologie
Chargé d’enseignement à l’Université de Perpignan